Il semble que, globalement, on s'accorde à reconnaître qu'il ne faut pas laisser l'anglais tout submerger, mais, d'un autre côté, à chaque instant, on peut lire qu'il est indispensable, incontournable, en somme qu'il n'est point de salut sans lui. Comme si, pour sauver une personne qui se noie, la meilleure méthode consistait à lui maintenir la tête sous l'eau...

Le problème, tant que l'on raisonnera ainsi, c'est que l'on renforcera sa position, qu'on le rendra toujours plus indispensable, incontournable. On aboutira ainsi à la langue unique qui mène tout droit à l'effacement des diverses façons de penser (n'oublions pas cette citation très juste d'Henriette Walter : "La langue, c'est une façon de penser") et, par suite, à la pensée unique.

Il ne s'agit pas de dire que toutes les façons de penser induites par la langue sont bonnes ou mauvaises. Elles sont mauvaises quand elles aboutissent à un repli sur soi, à un rejet de l'autre, à un nationalisme exacerbé. Les plantes dites mauvaises contiennent parfois des substances très précieuses, et l'homme a sans nul doute fait disparaître des plantes qui auraient apporté une solution pour tel ou tel problème de santé. Il faudrait donc éviter de faire de même pour des langues, donc des façons de penser qui pourraient favoriser l'émergence d'idées utiles pour toute l'humanité. Nous aurions certainement beaucoup à apprendre d'indiens ou de peuplades dites "sauvages" que nos "civilisations" ont largement dépassé en sauvagerie, très très largement dépassé, en particulier au 20ème siècle.

Donc, il importe de sortir de l'ornière de l'anglais, car son apprentissage à un haut niveau, pour se mesurer avec des natifs, exige un effort considérable au détriment de l'apprentissage d'autres langues, d'autres matières aussi, et même de l'amélioration de la formation professionnelle. Et on nous dit qu'on ne l'enseigne pas encore assez et qu'on ne lui accorde pas encore assez de moyens ! Je ne parle pas du Broken English qui coûte déjà excessivement au budget de l'éducation nationale, des entreprises et des particuliers de tous les pays non-anglophones, et ceci pour savoir seulement "se débrouiller". N'oublions pas non plus que si l'anglais donne des avantages considérables aŭ pays dominants de l'anglophonie, il leur pose aussi des problèmes très coûteŭ : “Les enfants d’autres pays européens apprennent à lire et à écrire beaucoup plus vite que les petits Britanniques. Il ne faut que deux ans aux Italiens tandis que les Britanniques peuvent y consacrer jusqu’à 12 ans“. ("Reuters", 17 avril 2007)... "Les 730 millions d'euros dépensés depuis dix ans ont eu un impact « relativement faible » sur son enseignement" (Marie-Estelle Pech, "Le Figaro" 22.07.2008). Donc l'anglais n'est pas idéal non plus pour les natifs anglophones. Et c'est précisément cette langue qu'on nous pousse à apprendre jusqu'à la surdose ! Ne sommes-nous que des moutons de Panurge ? Il est donc souhaitable d'aider les natifs anglophones à s'en sortir et, par la même occasion, les 95% de non-anglophones de l'humanité. Comment ? Par exemple en soutenant une initiative britannique : "Springboard… to languages" :
http://www.springboard2languages.org/home.htm (langues autres que l’anglais : http://www.freeweb.hu/egalite/salto/index.htm )

Il reste la question de l'alternative au tout-anglais : le multilinguisme, l'intercompréhension entre langues voisines, l'espéranto.

Le multilinguisme ramènera fatalement au tout-anglais car, en admettant que tout le monde apprendra au minimum une ou deux langues étrangères, c'est l'anglais qui sera choisi en premier lieu. C'est d'ailleurs la proposition que l'on trouve le plus souvent en dehors du seul anglais. La seconde langue ne servira que rarement, sauf pour ceux qui seront intéressés par les échanges et les relations avec un pays particulier ou plusieurs pays qui la parlent. Ce n'est pas à négliger, ceci après un enseignement de préparation et d'orientation à partir de l'espéranto.

Le 23 octobre, à 5h 40 sur "France Info", j'ai entendu quelques remarques intéressantes à propos du commerce international sur Internet : il apparaît que, pour des sociétés telles que Pixmania, qui a un réseau de vente à travers toute l'Europe, ça ne marche bien que lorsque la clientèle peut être informée et servie dans sa langue. Donc l'anglais ne suffit pas. Je ne prétends pas que l'espéranto suffirait non plus tant qu'il n'aura pas permis d'accéder à un véritable bilinguisme pour tous les Européens, pour tous les peuples. De toutes façons, on est encore très loin d'un véritable bilinguisme anglais + langue nationale. Avec la possibilité d'apprentissage nettement plus rapide et plus profond, avec l'avantage de faciliter l'accès aux autres langues et d'aider à une meilleure assimilation de la propre langue, l'espéranto peut entrer dans la compétition. Sans complexe. Et il faut déjà s'intéresser au chinois, pas seulement à des langues européennes. Le multilinguisme tel qu'il se présente actuellement, n'est donc qu'une mesure de diversion pour préparer la domination de l'anglais ou pour la retarder afin de nous mettre devant le fait accompli sans que nous nous en rendions vraiment compte.

Même chose pour l'intercompréhension entre langues voisines. Elle est illusoire et ne peut conduire qu'au tout-anglais, car c'est à l'anglais que l'on aura recours lors de tractations exigeant d'être clair et précis, par exemple pour des contrats. De ce fait, il obtiendra le statut de langue de référence. L'intercompréhension entre langues voisines équivaut au Broken English imprécis et gauche, et sa mise en place ne serait pas plus avantageuse financièrement du fait qu'une formation linguistique spécifique serait nécessaire. Certes, chacun s'exprimerait dans sa propre langue, donc avec un maximum d'adresse et de précision, mais la compréhension ne peut être à peu près bonne qu'après une formation assez longue, sinon, il y aurait fréquemment des ressemblances trompeuses ("Ah, j'ai cru comprendre que... !"). La tension nerveuse, lorsque l'on essaie de comprendre une intervention longue, conduit à une réduction ou à une perte d'attention qui, même dans la propre langue, existe déjà au-delà de 20 mn seulement. Or, ce n'est pas d'un à-peu-près que l'Europe et l'humanité ont besoin en matière de communication linguistique.

À ce propos, il y a des échanges intéressants sur le forum scandinave de Projet Babel
http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=12014
En somme, on peut "se débrouiller" par l'intercompréhension entre langues voisines, comme c'est le cas avec la version la plus répandue de l'anglais, le "Bad English" ou "Broken English". Mais c'est une "solution" très imparfaite, trop imparfaite, et à quel prix ? Le monde a besoin d'une langue commune, d'une vraie, conçue pour jouer ce rôle (ce qui n'est le cas d'aucune langue nationale), pas d'un à peu-près fort coûteux.

Avec moins de moyens humains et financiers, d'efforts divers, il est possible de faire nettement mieux. Voir un article paru hier dans "L'Alsace" :
http://www.lalsace.fr/fr/region/mulhousepratique/article/2114757,208/Des-cours-d-esperanto-a-Mulhouse.html
Après seulement trois heures de cours, un professeur d'allemand en retraite, M. Edmond Ludwig, a pu dire à propos de l'espéranto : "C’est la plus facile des langues vivantes. Au bout de trois séances, on arrive à dire tout un tas de choses. À la fin du premier semestre, mes étudiantes sauront se débrouiller. Allez voir dans un collège. Au bout de quatre ans d’anglais ou d’allemand, on ne sait pas lire comme ça !". Voir aussi ce qu'il a pu observer à propos de l'enseignement de l'espéranto comme préparation à celui de l'allemand : "La valeur propédeutique de l’espéranto pour l’apprentissage de l’allemand"
http://www.esperanto-sat.info/article413.html?var_recherche=ludwig

L'anglais est avant tout une langue NATIONALE née en Angleterre et commune à un certain nombre de nations par le fait de la colonisation, de l'expansionnisme et d'expéditions militaires, donc par la violence et diverses pressions. Il n'est pas lié à un parti, comme il a été écrit dans un commentaire précédent, mais à un ordre économique désastreux pour l'humanité que Washington, avec la collaboration de Londres, veut conserver et étendre. Il existe une manipulation et un conditionnement considérables pour aboutir à cela, et le vecteur linguistique est l'anglais.

À propos de ces conditionnements, voici quelques lectures utiles :
"Dumbing down, American-style", par Herbert i. Schiller. Original en anglais publié dans "Le Monde Diplomatique" —
http://www.hartford-hwp.com/archives/27c/501.html
"Décervelage à l'américaine", traduction en français —
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/08/SCHILLER/12381
"Usona sencerbigo", traduction en espéranto —
http://eo.mondediplo.com/article906.html
"Riposte à l’encerclement médiatique et guerre idéologique" (éd. Sicre, Paris. Critique : Déjouer la propagande officielle"
http://www.jeune-france.org/Langue%20francaise/langue25.htm
"La mise en place des monopoles du savoir" — l'anglais en question
http://www.educ-pop.org/259 (nouvelle édition révisée et augmentée à paraître dans les prochains mois).
"Propagandes silencieuses" et "La Tyrannie de la communication", "Géopolitique du chaos", par Ignacio Ramonet (éd. Galilée, Paris), ainsi que "Nouveau pouvoirs, nouveaux maîtres du monde" (éd. Fides, Montréal)