- Grand-père, raconte-moi comment c'était avant. Quand tu étais jeune...

- Tu sais, les choses ont bien changé, c'était une autre vie...
A mon avis, tout a commencé au milieu des années 50, en tout cas dans le monde occidental. Dans une Amérique ségrégationniste, des blancs un peu fous se sont mis à jouer et à chanter ce que chantaient les noirs depuis déjà plusieurs années. Cette musique a eu du succès dans le monde entier et cela a contribué à faire un lien entre les peuples. Un peu plus tard, d'autres chanteurs mais aussi des écrivains et des intellectuels ont exprimé un besoin de changer de société, de "système". Ils remettaient en cause le mode de vie qui était dominant à l'époque et qui créait des injustices et même des guerres.

- C'est quoi, déguerre ?

- Des guerres. Je t'expliquerai un jour, quand tu sera plus grande, c'est trop triste pour ton âge.
Ce soir, je continue mon histoire.
Quelques années après, il y a eu de grands mouvements de révolte dans beaucoup de pays, parfois avec des fleurs, parfois avec des pavés, mais ça c'est souvent mal fini. Des pays se sont retrouvés sous des dictatures et dans d'autres on a inventé la société de surconsommation pour calmer les contestataires. Certains de ceux-ci ont quand même réussi à créer une autre façon de produire, dans les campagnes ou dans des entreprises en autogestion (oui, comme maintenant), ça marchait parfois, parfois non, on était en tout cas très loin de la révolution espérée. Seule l'écologie gagnait peu à peu du terrain tout en restant très marginale.
Les années ont passé, nombreuses, très nombreuses...
Oh, tu sais, il y avait souvent des manifestations mais elles ne changeaient pas grand chose en profondeur. Chacun défendait surtout ses propres intérêts, en fait. A part le problème de l'écologie que les gouvernants commençaient à prendre au sérieux (beaucoup trop tard, avec lenteur), rien ne bougeait et quand ça bougeait, c'était souvent en marche arrière !

Et puis...
Et puis il y a eu ce virus... Je m'en souviens, c'était en 2020. Un simple virus. Comme il était inconnu, on l'appela Corona puis Covid. Il avait un numéro, le 19, un peu comme les rois ou les papes !
Tu sais ce que c'est, un roi et un pape ? Non ? Ce n'est pas grave, c'est du passé.
Donc, là où tous les révolutionnaires de la planète avaient échoué, ce satané virus réussi l'impensable : le monde entier s'arrêta net, d'un coup !!! Cela dura plusieurs mois.
L'An 01 était arrivé, comme dans la bande dessinée que Gébé avait faite 50 ans avant : "On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste".
Il y a eu des morts comme dans toute révolution, peut-être le prix à payer, malheureusement, mais c'était une révolution sans armes, juste et avant tout dans la tête de chacun d'entre nous...
Des systèmes économiques au bout du rouleau s'écroulèrent comme des châteaux de cartes mais surtout les gens s'étaient enfin rendu compte que gagner toujours plus pour consommer toujours plus était stupide, sans issue, et que cela se faisait au détriment d'une partie de la population et de la nature qui était en grand danger à l'époque. Ils décidèrent donc de changer de vie, de produire autrement, d'acheter selon leurs véritables besoins et non pour posséder des objets souvent inutiles qui devenaient rapidement périmés ou plus "à la mode". L'essentiel a remplacé le superflu sans toutefois revenir au moyen-âge.
Petit à petit, les automobiles ont disparu, remplacées par des transports en commun rapides et nombreux et par de petits véhicules individuels en cas de besoin. Les immeubles des villes, même des plus grandes, se couvrirent de verdure. On pouvait enfin profiter de la nature tout en vivant normalement, d'une façon simple et apaisée. Les rapports avec les autres, l'argent, le travail, étaient bouleversés. On "respirait" enfin au sens propre comme au figuré. C'était une nouvelle civilisation qui commençait, la nôtre aujourd'hui.
Voilà, tu as eu la chance de naître dans ce nouveau monde, tu ne connaîtras jamais la pollution des embouteillages, ni la machine à laver qui tombait en panne juste après la garantie, ni les séries télé débiles, ni les réseaux sociaux qui étaient tout sauf sociaux, ni le stress au travail avec les heures supplémentaires et le petit chef qui te faisait remarquer tes 5 minutes de retard et bien d'autres choses encore qui nous pourrissaient la vie sans qu'on s'en rende vraiment compte.
Tout n'est pas encore parfait de nos jours, bien sûr, mais l'homme n'est pas parfait non plus.
Bon, je pourrais te parler encore longtemps mais je suis fatigué, bébé. Il est l'heure de dormir.

- C'était une très belle histoire. Merci grand-père, merci Covid. Bonne nuit...