Les chantiers navals de Mandvi, victimes de la piraterie

CHANTIER NAVAL DE MANDVI


Les chantiers navals de Mandvi, victimes de la pir…

03 Aug 2008 50 16 585
Mandvi (Inde) - Cette semaine, une série sur le chantier naval de Mandvi une ville de l’Etat du Gujarat sur la côte Ouest de l’Inde du Nord. La particularité de ce chantier est qu’il se trouve au coeur de la ville. En 2008, date de ce reportage, la ville prospérait au rythme du chantier depuis plusieurs générations. Les boutres affectés aux transports des marchandises étaient construits manuellement. Du bois, des clous, de la graisse animale mélangée à du chanvre pour assurer l’étanchéIté de la coque et de huile de coude pour manier des outils traditionnels. Il fallait cinq ans en moyenne pour sortir un bateau du chantier. Aujourd’hui, il n’en est plus rien. En 2010, pour limiter les nombreux actes de piraterie dans la mer d’Arabie où la plupart des boutres étaient arraisonnés par les pillards, la Direction générale de la Navigation (DGN) a pris une disposition anti-piraterie, interdisant la navigation au Sud d’Oman. Cette loi a eu pour effet immédiat de bloquer les échanges commerciaux entre l’Inde et la Somalie et par contre-coup, la Tanzanie, le Kenya ou le Yémen. Ces échanges (principalement du riz et de la farine) se faisaient avec ces boutres naviguant sous pavillon indien. Certains pays des côtes africaines commandaient aussi ce type de navires marchands aux chantiers du Gujarat. Mais la route maritime étant désormais coupée, il n’est plus possible de les livrer. Les commandes se sont immédiatement taries, alors qu’auparavant plus de 100 navires étaient simultanément en construction à Mandvi. Sans compter ceux qui venaient ici pour des travaux de réparations. Certaines familles de constructeurs et d’armateurs se sont délocalisées aux Emirats arabes-unis pour contourner cette loi. Les autres ont dû mettre la clé sous la porte. Et les milliers d’ouvriers qui vivaient de cette activité sont désormais sans emploi. Nombreux sont ceux qui ont quitté la région avec leurs familles pour tenter leur chance ailleurs. Ce reportage a été fait au Nikon D 80, mon tout premier appareil photo numérique. Le capteur, donné comme excellent à l’époque, est largement dépassé aujourd’hui. Les contrastes sont trop forts et les couleurs approximatives. Et comme je venais juste d’abandonner l’argentique, j’ai pensé un temps, que c’était un appareil magique. J’ai vite déchanté quand j’ai réalisé le nombre impressionnant de photos ratées, notamment en terme de colorimétrie, mais aussi pour des défauts de mise au point. Il faut dire que je n'avais pas tout compris à l'époque pour optimiser les réglages. Dès lors, j’ai repris mes vieilles habitudes du temps de l’argentique, en les adaptant au numérique. Ce reportage (texte et photos) a été publié en 2009 dans l'hebdomadaire professionnel "le Marin" du groupe de presse Ouest-France pour qui j'ai longtemps travaillé. Ce fut ma dernière collaboration avec ce journal car à cette époque j'avais déjà abandonné la presse écrite pour la presse audiovisuelle.

A l’abordage !

04 Aug 2008 71 25 688
Mandvi (Inde) - Rayon de soleil fugace, sur fond de ciel de mousson. Cette photo a été prise la veille du déplacement de la coque rougeoyante de ce bateau vers un autre endroit du chantier pour laisser la place à la construction d’une nouvelle unité. J’y reviendrai demain avec deux photos qui illustrent le travail de fourmis des employés des chantiers. L’homme qui monte pieds-nus à l’échelle rejoindre le pont du boutre, n’est autre que le futur commandant du navire qui veut faire une dernière inspection avant la marée haute prévue le lendemain qui permettra de mettre le navire en eau. C’est lui qui m’a donné une bonne parties des informations dont j’avais besoin pour mon reportage. Quand je lui ai parlé de la sécurité du chantier il m’a regardé avec des yeux ronds. J’ai d’abord cru que ma question -en anglais- était mal formulée. Mais non, pour lui ma question n’avait pas de sens. « Les accidents ça fait partie du travail ! » m’a-t-il lâché mi-fataliste, mi-gêné. Quant à savoir combien d’accidents étaient dénombrés chaque années ? Pas de réponse. L’Inde est un pays particulièrement tatillon sur les procédures administratives, mais pas pour ce genre de statistiques. A l’époque de ce reportage, l’Inde affichait une croissance insolante à deux chiffres. Alors pourquoi s’embarrasser de normes de sécurité qui auraient pu freiner le développement économique ? Côté technique photographique, le fichier brut issu de mon Nikon D 80 était très contrasté avec une forte dominante colorimétrique, liés à une erreur de paramétrage de ma part et à l’altération due au temps sur le support d'archivage (disque dur externe) qui a assombri la photo originale. Sans parler de la mise au point automatique qui a choisi de donner la priorité au fond de l’image. Erreur de débutant. Ce que j’étais avec un appareil numérique. J’ai doublé l’image comme je le fais habituellement, où l’homme qui monte à bord est net, mais il est un peu plus haut et l’image est moins équilibrée à mon goût. Heureusement que je travaillais en raw. Le post-traitement m’a permis de retrouver la luminosité originelle, bien que je trouve le rendu un peu « lissé ». Nous dirons qu’il s’agit là d’un document. Si les chantiers étaient toujours en pleine activité, j’y serais bien retourné avec mon Fuji GFX 50 R. N’y pensons plus.

Travail de fourmis

03 Aug 2008 52 30 563
Mandvi (Inde) - La coque de ce boutre est terminée. Le navire va être déplacé vers le chenal pour terminer les aménagements de la passerelle de commandement et les cabines des marins. La place sera alors libérée pour la construction d’une nouvelle unité à même le sol. Pour déplacer un tel monstre de bois, des hommes et les femmes ont creusé à la main des tranchés pour désensabler la coque et permettre à la marée de la mettre à flots. Sur la photo, on voit les terrassiers transporter des sacs de sables qui serviront à caler la coque afin qu’elle ne bascule pas sur le côté, quand les derniers mètres cubes de sable seront retirés sous le bateau. Quand cette béquille de sacs sera en place, il suffira d’attendre que la marée entoure le navire pour que des remorqueurs puissent le tracter. Comme ce boutre se trouve au plus près de la ville (je suis sur la route pour prendre cette photo), cette manoeuvre n’est possible que les jours de grandes marées autorisant un niveau suffisant pour disposer d’un tirant d’eau permettant à la coque de flotter. Les travail des ouvriers-terrassiers est particulièrement dangereux car le sol de sable n’est pas stable surtout sous une telle masse, et ils risquent à tout moment de mourrir écraser sous une coque qui chavire. De tels accidents arrivent parfois, mais les ouvriers ne semblent pas s’en inquiéter. Côtoyer la mort fait partie du job. Voir PIP pour le détail de la photo.

Nettoyage de printemps

04 Aug 2008 50 18 431
Mandvi (Inde) - Après avoir eu un aperçu les dimensions extérieures des boutres indiens construits dans les chantiers de Manvi, je vous invite à visiter l’intérieur. Nous sommes dans la cale du navire où sacs de riz et de farine s’entasseront prochainement pour être livrés sur les côtes de la Corne de l’Afrique. Enfin, ça c’était en 2008, quand les chantiers tournaient à plein régime, avant que les pirates somaliens ne s’en prennent à ces proies faciles, faute de protection. Sur cette photo, le bateau est en cours de finition. Les ouvriers se livrent à une ultime opération de « nettoyage » avant que les dernières planches ne soient clouées. Là aussi, tout se fait manuellement. Ne croyez pas que j’ai pu faire cette photo en demandant juste la permission de monter à bord. Pour ce genre de reportage, il faut être patient et utiliser des techniques d’approche. D’autant que j’ai pour principe de ne jamais payer pour une photo. Ce qui faciliterait pourtant bien les choses parfois. Mais en Inde le culot est payant. Timides s’abstenir. Je suis venu sur le chantier tous les jours pendant une semaine. Tous les matins et en fin de journée, quand la lumière daignait être favorable en cette période de mousson. Au bout 48 heures, j’étais déjà connu des ouvriers pourtant nombreux sur le site. Un photographe occidental se repère facilement. D’autant que Manvi n’est pas une destination touristique. Un étranger, ça intrigue. J’en ai joué. J’allais régulièrement boire un jus de fruit ou prendre un thé (alors que je n’apprécie guère cette boisson) dans les gargotes implantées aux abord et au milieu des chantiers. Après avoir sympathisé avec l’un de ces gargotiers qui parlait anglais, j’ai commencé a demander s’il était possible d’aller faire des photos à bord d’un de ces boutres en construction. Je cherchais surtout à avoir une vue dominante pour compléter mon reportage photographique. Le commerçant m’a alors désigné un homme d’une bonne trentaine d’années qui assis, non loin de moi, sirotait un thé. C’était le capitaine d’un boutre dont la construction était quasiment terminée. C’est lui que l’on voit monter à l’échelle pied-nus sur la photo publiée d’avant-hier. Au début, je ne lui ai pas dit que j’étais journaliste, me contentant de lui dire que j’étais intéressé par ce type de construction artisanale. Visiblement heureux que je m’intéresse à la vie du chantier et aux techniques de construction, il m’a donné de très nombreuses informations utiles à mon article. Le lendemain, il m’a invité à monter à bord de son bateau d’où j’ai pu faire de nombreuses photos en hauteur. Et je peux affirmer que ces bateaux bien que construits artisanalement, sont très hauts et offrent des vues étonnantes quand on est dans la passerelle de commandement. Ensuite, il m’a emmené vers un autre boutre appartenant au même armateur indien, dont le capitaine est un de ses amis. Je ne m’attendais pas à voir cette opération de nettoyage dans la cale avant que le plancher ne soit définitivement remis en place. J’ai retrouvé ici des ouvriers déjà rencontrés les jours précédents, notamment le jeune vêtu de jaune. Il m'avait offert un thé alors qu’il en préparait pour ses collègues. J’avais cru que c’était le cuisinier de ce chantier. Ce jour là, j’ai été invité à accompagner les ouvriers pour la pause-déjeuner, à l’ombre de la coque du boutre. Un sympathique moment qui m’a également apporté d’autres précieuses informations. Malgré la difficulté de leur travail, ils étaient tous fiers de participer à la construction de ces navires.

Les acrobates de la navale

03 Aug 2008 53 30 497
Mandvi (Inde) - Petit rappel des bases du reportage visuel : un plan large, un plan moyen et un serré. Aujourd’hui c’est un plan serré. En vidéo professionnelle cette technique est destinée à donner le choix au monteur qui doit donner du rythme au reportage. En photo, c’est la même chose, mais on n’est pas obligé d’appliquer à la lettre cette méthode à une même scène. Même si je conseille d’en faire au moins deux : un plan serré et un large (voir PIP en passant le curseur de la souris sur la photo en haut à gauche). Ces valeurs de plans appliquées à des scènes différentes, permettent de donner du relief à une mise en page, quand le reportage est destiné à être publié. De plus, cela permet fluidifier la narration visuelle pour ne pas avoir l’impression de voir plusieurs fois la même photo. Cette méthode est applicable même si on ne dispose que d’un seul objectif. Il suffit de de rapprocher et de se reculer pour obtenir deux valeurs du même sujet. Bien entendu, le rendu sera différent si on utilise une 35 mm ou un 200. Il ne faut pas oublier qu’un reportage photographique, c’est une histoire racontée en images. C’est aussi la raison pour laquelle, même si les photos ne sont pas accompagnées d’un texte, il faut se documenter sur le sujet que l’on veut traiter pour faire les photos qui résumeront au mieux le propos. En fait, une dizaine d’images différentes suffisent. Mais l’idéal est d’avoir un choix d’une vingtaine de photos (horizontales et verticales quand ça s’impose pour une pleine page) Pour la photo ci-dessus, j’ai fait un plan serré au 200 mm pour montrer les conditions précaires des ouvriers en charge de la construction du navire. Sur le PIP c’est le plan large qui replace la photo dans son contexte. Cette seconde photo apporte une information que le plan serré ne donne pas : les ouvriers vivent sur le chantier avec leurs familles, d’où la présence d’enfants en bas, à gauche de l’image. Cette vignette (PIP) n’est pas réellement adaptée à une bonne lisibilité de cet élément d’information. Mais aujourd’hui, c’est le plan serré que je veux mettre en valeur. J’ai également une vue verticale de cette même photo qui intègre une partie du sol. On ne présente pas les photos de la même façon si elle sont destinées à être publiées sur un site photographique où dans un magazine.

Du bois de "sal" pour les boutres indiens

04 Aug 2008 49 17 462
Mandvi (Inde) - Pas la peine de préciser qu’à marée haute les ouvriers ne travaillent pas au sol. Ce boutre est bien avancé dans sa construction. La coque est terminée. C’est la raison pour laquelle il y a quelques mois, il a été remorqué à l’entrée du chenal. Il ne craint plus l’eau. Comme on peut le distinguer sur cette photo, les ouvriers s’affairent désormais sur le pont supérieur, les pieds bien au sec. Pour la construction de ces navires marchands, l’Inde a longtemps utilisé le tek. Mais depuis que l’importation de cette essence précieuse est interdite et que son prix a fortement été revu à la hausse ces dernières années, les chantiers se sont rabattus sur le bois de « sal » (ou sala). Un bois très dense et imputrescible, importé du Sud-Est Asiatique et plus particulièrement d’Indonésie. Ce bois provient d’un résineux qui atteint 30 à 35 mètres de haut à l’âge adulte. Il présente un grain grossier qui n’autorise pas un ponçage efficace de sorte qu’il est inadapté pour des travaux de menuiserie. Il est donc utilisé comme bois de charpente dans la construction navale. Sur certaines unités en construction on peut voir que du bois récupéré sur des bateaux voués à la casse a été recyclés par mesure d’économie. Tout est utilisé dans le « sal », notamment son fruit et ses graines qui sont transformés en huile pour les lampes. Il n’est pas rare qu’aujourd’hui encore dans les familles les plus pauvres, on s’éclaire toujours à la lampe à huile ou à la bougie. Quant à sa résine particulièrement odorante, elle est recyclée en encens pour les cérémonies religieuses hindoues. Ici, j'ai choisi d'intégrer dans l'image un premier plan avec ce bateau destiné à la récupération des matériaux. Ce qui a l'avantage de remplir le cadre et de donner de la respective. Un premier plan est souvent nécessaire pour une photo prise au grand-angle.

Bye Bye Mandvi !

04 Aug 2008 43 16 469
Mandvi (Inde) - Je termine cette série sur les chantiers navals d’un autre âge avec le plan serré d’un contremaître pendant sa « pause syndicale ». C’est un clin d’oeil car ces ouvriers n’ont pas plus de syndicats que de sécurité sur les chantiers. L'homme a l'air de fermer les yeux. Ce n'est pas tout à fait le cas, mais il était placé face au soleil. Pour ce reportage je n’ai pas beaucoup de gros plans de personnages isolés. Comme mon reportage était destiné à un journal maritime professionnel, dans un premier temps j’ai axé mon regard sur les bateaux. Bien entendu, les conditions de travail déplorables me sont vite apparues. Comment parler de ces boutres sans évoquer cette précarité à travers cette activité de tous les dangers ? Si je me suis toujours intéressé aux gens, ce reportage a été un vrai déclic pour moi. C’est en découvrant ces hommes et ces femmes qui travaillant sur ces chantiers que j’ai décidé de m’investir à 100 % dans la photo humaniste. l’Homme est depuis devenu le fil rouge de tous mes reportages. Il en avait souvent été ainsi auparavant, mais depuis ce jour, j’en ai fait une véritable ligne éditoriale. C’était devenu une évidence. Et comme je sais désormais intégrer des PIP dans mes photos, j’en mets une autre, en vignette en haut à droite. Une ultime vue générale prise de la fenêtre d’une chambre d’hôtel, seul immeuble élevé dans cette rue donnant sur le chantier.