La raison voudrait, bien sûr, que l'on se contente du classique safari en mini-bus, moins onéreux de quelques dizaines d'euros. Le Massaï-Mara et ses 1672 km² de savanes, de montagnes escarpées et de forêts, garantissent déjà des souvenirs inoubliables au visiteur qui les découvrent par les pistes...
Mais l'arrivée en avion de brousse, au-dessus de la plus célèbre des réserves kenyanes, quelques heures après la visite de la maison Blixen à Nairobi, a réveillé des fantasmes de « Ferme Africaine » et de dîners aux chandelles dans la brousse avec Meryl Streep, un concerto de Mozart chuintant du gramophone, dans la nuit peuplée de cris de bêtes...
On oublie donc le confort sécurisé des lodges pour prendre la direction d'un campement Massaï, où l'on bivouaquera pour la nuit, en tente quatre étoiles, sous la garde vigilante des guerriers rouges, armés de lances et de gourdins. Les excursions aux toilettes se feront à la lampe torche, sous bonne escorte, car une famille d'hippopotames a élu domicile au bord de la rivière. Et le lion, dans ces parages, n'est jamais très loin. Son feulement rauque déchirera à intervalles réguliers la nuit africaine, troublant des rêves peuplés d'images de safari version Hollywood : Chasseur Blanc, Cœur Noir, Sommeil Léger...

L'envol
Le jour n'est pas encore levé quand nos gardiens donnent le signal du réveil, un seau d'eau tiède à la main pour les ablutions. Après un frugal petit-déjeuner, il faut reprendre la piste. Un 4X4, dont les phares peinent à trouer la nuit d'ébène, brinquebale notre équipage jusqu'à l'aire d'envol, où l'on assiste, comme dans un rêve d'enfant, au gonflage du ballon multicolore, le soufflement des brûleurs faisant écho aux grondements du lion.
Dans la nacelle, Cap'tain Franck, chapeau de safari et tenue de brousse réglementaire, dirige la manœuvre avec ce qu'il faut de style et d'understatement typiquement british :
«-Comment se dirige-t-on avec cet engin, capitaine ?
- I have no idea, sir ! ».
On s'envole, sans effort ni bruit, dans la nuit encore épaisse. Le ballon glisse au ras des arbres comme flottant sur un lac invisible. Se peut-il que l'on soit encore entrain de rêver ?
Les bruits d'oiseaux annoncent le lever du jour qui, d'un coup d'un seul, illumine le paysage sous nos pieds, exactement comme si l'on déroulait un tapis. La savane s'étire, infinie et paisible, comme au premier matin du monde. Et l'on voit les premiers troupeaux, buffles zèbres et gazelles, fuyant au loin l'ombre portée du ballon. Voici les lions que l'on entendait et qui à cette heure dorment encore. Et les éléphants gris que le bruit des brûleurs rend nerveux.


Cap'tain Franck pose le ballon à quelques mètres de la troupe. Dans la nacelle, on n'en mène pas large ! Les Massaïs viennent heureusement nous récupérer pour le safari-brunch, dont la table est déjà dressée sous un arbre, non loin de là. Les cuisiniers en toque blanche et les grooms en livrée rouge et gants blancs s'affairent pour le service. Champagne ! Robert Redford n'est pas notre cousin...