L’ addiction à Internet est une réalité. Ex-gourou du Web, Thierry Crouzet l’a vécue… Et en est revenu. Il explique pourquoi et comment dans un essai passionnant.

L’une des résolutions de début d’année les plus courantes (et les plus couramment oubliées depuis) a sans doute été de passer moins de temps sur Internet. A force de relever ses mails toutes les dix minutes, de tweeter, de poster sur Facebook, de répondre à des messages instantanés, de bloguer et de surfer sur internet pour tromper le plus petit début d’ennui, beaucoup d’entre nous ont fini par prendre conscience qu’ils passaient plus de temps sur le réseau que dans la vraie vie. Et ont donc décidé d’inverser la tendance. Sans grand succès. Selon une étude récente, la moitié des américains préféreraient abandonner ,le café l’alcool ou le chocolat plutôt que de se priver de leur mobile pendant une semaine. Un tiers seraient même prêts à renoncer à toute vie sexuelle ! Thierry Crouzet était de ceux là. Un véritable addict, qui avait fait du Net à la fois son métier et son terrain de jeu favori. Jusqu’au jour où il se retrouve à l’hôpital en état de surmenage, prend conscience de ce qu’il l’y a conduit et décide de se débrancher totalement du Net. Il raconte son expérience dans un essai passionnant (1) et nous explique ce qu’il en a tiré comme conclusions.

Qu’est ce qui a provoqué la prise de conscience de votre addiction au Net ?

A l’hôpital, dès que je me suis senti mieux, la première chose que j’ai faite a été de rebrancher mon smartphone pour aller sur internet. Pour la première fois, j’ai trouvé ça totalement déplacé. Cela avait quelque chose d’anormal à cet endroit et dans ma situation. J’étais comme un fumeur compulsif. J’ai compris que le net dirigeait ma vie.

C’est vraiment l’abus de Net qui vous avait conduit à l’hôpital ?

Peut-être pas tout à fait, mais j’étais clairement surmené.

Quelle était votre pratique réelle?

J’étais tout le temps connecté. Je ne me fixais aucune limite. Je bloguais beaucoup et j’étais sur les réseaux sociaux en permanence avec quelque chose comme 3 ou 4000 « amis » ou « followers ». Si je me réveillais la nuit, je consultais mes messages. Mais je n’avais pas la sensation d’abuser. Tous mes amis d’internet faisaient peu ou prou la même chose. On avait le sentiment exaltant de faire un travail collaboratif ou une création collective…

Pourquoi vous être fixé 6 mois d’abstinence totale ?

Ca me paraissait impossible de faire plus. J’avais peur du manque ! (rires)

Et vous n’en avez pas souffert ?

Pas vraiment. Au début, je me suis senti comme un retraité qui avait encore envie de travailler mais que sa boite avait contraint à partir. J’étais clairement désœuvré, je tournais en rond. Mais j’ai vite trouvé un nouveau rythme et au bout de trois mois j’étais super bien. Au point de ne plus vouloir revenir du tout.

Par quoi avez-vous remplacé le Net ?

La promenade, le sport , la lecture , la famille, les discussions avec les amis. J’ai redécouvert que j’avais un corps et des sensations existentielles puissantes dont j’avais totalement perdu la notion. J’ai retrouvé ma vie physique.

Et vous n’avez pas replongé ?

Non. Aujourd’hui, je ne fais plus grand-chose sur le Net. J’écris un billet de temps en temps sur mon blog, je vais sur Twitter et Facebook deux trois fois par jour seulement. Je picore. Il m’arrive même d’oublier mon téléphone pendant deux jours. Mais je continue à réfléchir et à écrire sur notre pratique du Web.

Quelles leçons tirez-vous de votre expérience ?

La leçon, c’est qu’on croit que ce monde la nous est indispensable alors qu’en fait on s’en déshabitue très vite. C’est assez facile de reprendre le pouvoir. A partir de là , la seule question qui se pose c’est : qu’est ce qu’on doit y faire ? Je ne crois pas que le Net tue la créativité et qu’il faille totalement se débrancher. Il faut seulement savoir s’en abstraire de temps en temps pour mieux y revenir.

Quels conseils donneriez vous aux parents qui s’inquiètent souvent du temps que passent leurs enfants sur internet?

Le Net est un nouveau monde à explorer. Ce serait ridicule de les en priver. Mais il faut leur expliquer comment devenir des acteurs et pas seulement des consommateurs de ce monde là. Le problème c’est que personne ne s’en charge et surtout pas l’école.

(1) J’ai débranché comment revivre sans internet après une overdose chez Fayard 305 pages 18 €.