Gary Wang ne croyait pas si bien faire, lorsqu'en 2005, il baptisa le premier site chinois d'échange de vidéos « Tudou » (patate), en référence au surnom que les anglo-saxons donnent aux gros consommateurs de télévision, les « coach potatoes » (patates de canapés).
« Au départ, explique ce brillant web-entrepreneur de 34 ans, formé à Harvard et à l'Insead Paris, l'idée était de leur faire abandonner leur canapé pour faire autre chose que regarder la télévision ». Il y a si bien réussi que dix millions de ses concitoyens se collent en moyenne 40 minutes par jour devant leur écran d'ordinateur pour regarder des vidéos sur Tudou, le YouTube chinois. Ce qui revient, Cary Wang en convient, à passer du canapé du salon... à celui du bureau.
Car pour les Chinois, grands amateurs de vidéos (ils en consomment plus d'un milliard par mois sur Internet !), Tudou est une véritable alternative à la télévision. Les contenus y sont beaucoup plus longs que sur YouTube ou DailyMotion, et on peut y trouver aussi bien des spectacles ou des clips musicaux, que des séries TV, des documentaires ou des films.

Aucun contenu « déviant »
La question des droits d'auteurs est, évidemment, traitée de manière assez floue. Tudou a été condamné en mai dernier pour ne les avoir pas respectés, mais cela ne l'a pas empêché d'obtenir, quelques semaines plus tard et pour trois ans, sa licence d'exploitation. Comme le dit Cary Wang avec philosophie : « Le piratage est une vieille histoire en Chine ». Les CD musicaux et les DVD, par exemple, n'y ont jamais été trés rentables...
Malgré son taux de fréquentation effarant (50 % du marché chinois de la vidéo en ligne, estimé à 160 millions d'utilisateurs réguliers. YouTube n'arrive là-bas qu'en sixième rang) et des annonceurs internationaux qui se bousculent pour placer leurs bannières publicitaires sur le site, Tudou n'est toujours pas rentable, lui non plus. 85 millions d'euros d'investissements ont, il est vrai, été nécessaires pour lancer le site et 250 employés, répartis au siège à Shangaï et dans les bureaux de plusieurs grandes villes chinoises s'occupent de le faire tourner. Une grande partie est employée à visionner les 20 000 nouvelles vidéos qui sont postées chaque jour par les utilisateurs et qui doivent être mises en ligne dans la demi-heure.
La censure est féroce et aucun contenu « déviant » n'a la moindre chance de trouver place sur le site. Cary Wang, s'en accommode avec le même pragmatisme que pour les droits d'auteurs (« Question d 'habitude » coupe-t-il en souriant). Les sites occidentaux font de même. Alors que le français DailyMotion, n'a toujours pas droit de cité sur le Web chinois, Google, YouTube et Yahoo ! ont fait de grandes concessions pour en obtenir l'accès. Avec 240 millions d'utilisateurs (et 10 millions de plus chaque mois !), la Chine est aujourd'hui la plus grande communauté d'internautes du monde. Et sept sur dix consomment de la vidéo comme ils mangent et respirent... Cela mérite bien quelques concessions.