Préambule : j'ai écris ce texte un jour de week-end froid et pluvieux ... en pensant aux sans-abris et à moi bien au chaud ...


N'y a t-il pas plus belle aventure que celle de se lever le matin de bonne humeur ? Bien sûr, il y a le réveil difficile, quelques absences, la cervelle un peu en vrac et mon air paumé qui me caractérise si bien. Mais bon, aujourd'hui est pour moi un grand jour : je vais participer à mon premier défilé de mode ! C'est le seul truc qui m'intéresse, alors il ne faut pas douter.

Fini le frigo vide, fini les fins de mois difficiles, les portes fermées et les chemins de traverse, ma carrière commence cet après-midi et il n'est pas question pour moi de rater mon défilé. Direction la salle de bain pour se débarbouiller, me faire belle, faire disparaître mes cernes, être bien coiffé et m'habiller. Surtout, ne pas partir le ventre vide. Un bon chocolat chaud, un dernier regard vers mon fidèle miroir et je quitte ma petite chambre de bonne.

Il fait froid ce matin et le trajet long. J'accélère le pas pour ne pas arriver en retard. Aujourd'hui, il faut faire une bonne impression. Sur le trottoir, je slalome entre les encombrants, donnant un sourire aux éboueurs qui me sifflent en passant. Demain, chez moi, je garderais le souvenir de ce type, styliste à ses heures, mais qui ressemble à rien. Oui, je penserais à cet homme qui m'a mis en confiance pour que je présente bien à ce premier défilé. Un défilé qui a enfin lancé ma carrière.

Ce matin, le soleil se lève sur la lagune bleue. Dans ce palace de la Côte d'Azur, je me réveille tout doucement dans un grand lit douillet. Aujourd'hui, je me repose et profite tranquillement de ma nouvelle vie de top-model. Il est loin l'époque où je débutais une carrière de mannequin, mais maintenant, je peux envisager ma nouvelle vie avec une sérénité financière. Je me sens un peu seule peut-être.

En me promenant ce matin-là sur la Promenade Anglaise, je me rendais compte de la chance que j’avais. Là devant moi, il y avait, hier comme aujourd’hui, des SDF sur les trottoirs. Il étais pénible, pour moi de me frayer un chemin entre eux en laissant un sourire gêné. Moi cachée derrière mon châle pour me protéger des paparazzi, eux cachés derrière des cartons pour se protéger du froid.


Tout d'un coup, j'ai reconnu devant moi une connaissance. Une ancienne amie étudiante qui vit sur le trottoir au milieu des encombrants. D'où sort-elle ? Que lui est-elle arrivée pour finir ainsi ? Ayant peur qu'elle m'est reconnu, je continue mon chemin et me réfugie sous un porche.


Que m'arrive t-il ? Que suis-je devenue pour m'oublier, oublier mon passé et, malgré des lendemains difficiles, les fou rires et les partages de moment de complicité avec elle ? Est-ce que la célébrité m'a tant changé ? Mon coeur est-il devenu si froid ? Il me fallait prendre une décision simple : retourner voir mon ancienne amie sur le trottoir et lui tendre la main. Je devais comprendre pourquoi elle en est arrivée là ...


Après l'avoir raccompagné à mon hôtel, je regardais comme pour la première fois mon ancienne amie, assise dans un sofa pur buffle, boire un chocolat chaud. Retrouvant le sourire et des couleurs, elle commença à raconter son histoire. Il me faut admettre qu’en acceptant ma main tendue, mon amie m’est venue en aide. Elle m’a permis de retrouver ma dignité et les vrai-valeurs.


Aujourd’hui, en l’écoutant parler, je sais maintenant que, avec le temps, la quête d'une célébrité peut être fragile et donner un goût amer à la vie.

L'amitié est souvent plus solide. Elle a le goût sucré de la convivialité et de la nostalgie. Tout comme un bon chocolat chaud.



Mars 2008