Petites-Cendres, travesti qui se produit tous les soirs au cabaret La Porte du Baiser, court le long de l'Océan Atlantique. Elle fait du jogging et pense de façon obsessionnelle aux Jardins des Acacias, un refuge médicalisé pour les malades du sida. Cela se passe dans un décor de rêve, sur une île tropicale et c'est le crépuscule, le soleil sombre. C'est le crépuscule de sa vie, car elle-même, Petites-Cendres, est contaminée (...)
(À propos de M.-C. Blais Au jardin des Acacias, Seuil.)

C'est le début de l'argument d'une des nouveautés de la « rentrée littéraire », prise presque au hasard. Qu'on me pardonne de regretter le temps où Balzac, Stendhal ou Mme de Lafayette s'intéressaient à des problèmes humains plus universels, amour, famille, quête du pouvoir, à une époque où les gens étaient pourtant plus malheureux et malades qu'aujourd'hui.

Maintenant, pour faire du nouveau et gagner les suffrages des soi-disant intellectuels, il faut donc étudier un travesti (situation quand même sérieusement minoritaire et peu favorable à l'identification du lecteur, même si John Irving a consacré aux transsexuels un roman que je trouve décevant) et pour assurer le tragique, la psychologie ne suffisant plus, il faut la menace extérieure du sida.

C'est le côté le plus anti-racinien de notre époque : le tragique n'est plus intériorisé ; c'est la menace d'un fléau extérieur, comme la colère des dieux dans le théâtre primitif ; on le voit aussi dans tous les films américains à effets spéciaux, qui n'ont certes pas le label intello. C'est le sceau de notre époque qui fait peu de place à l'introspection, de peur de se prendre la tête.

L'hybris, l'amour, la haine, les palais, les passions dévorantes, c'est fini ; place au sida, au cancer, à l'hospice et à la maladie d'Alzheimer.

En lisant des critiques qui devraient être pourtant être complaisantes, je découvre (car je n'ai pas ouvert le livre, trop sûr sans doute de mon propre a priori) que c'est presque illisible, parce que l'auteure, comme c'est la mode (par exemple Gwenaëlle Aubry dans une biographie de son père qui n'intéresse strictement qu'elle, intitulée Personne) a pris le parti hautement méritoire et si original d'écrire sans utiliser de points. Rien que des virgules (1).

Apollinaire, il y a plus de cent ans, avait déjà eu l'audace de supprimer les points et les virgules dans sa poésie, pou créer des rapprochements poétiques entre des mots que la syntaxe sépare. Mais quel mérite a l'audace, lorsque tout est permis, et que l'outrecuidance tient lieu de génie ?

Avec de telles élites, allez vous étonner à l'opposé du succès des illettrés du Front National. Tout est lié, pas besoin de complot : la culture est la propriété exclusive d'un tout petit cercles de privilégiés qui se cooptent, la transmission du savoir et l'ascenseur social sont au point mort grâce à la destruction de l'école publique, et seuls les enfants des plus favorisés ont accès à une formation efficace, le peuple est dégoûté et vote pour les grandes gueules.

youtu.be/u3CWS1LxXuk

PS :
1. SVP, M. Seuil, sauvez nos forêts et n'imprimez plus de telles fadaises.
2. Comme j'ai écrit sous le coup de l'indignation (quand en aura-t-on fini avec ces bouses qui finissent de détourner les jeunes de la littérature ?) je ne m'étais même pas enquis de l'âge de l'auteure, que j'imaginais plus jeune que moi. Mais je me trompais bien : elle est née en 1939 !
3. Si vous voulez une nouveauté lisible : L'ordinateur du Paradis, de Benoît Duteurtre. Un seul défaut : c'est trop court.
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(1) Et, après avoir regardé, pas un seul alinéa. C'est donc beaucoup plus sévère que chez la petite Aubry qui a juste gommé les points pour se donner l'air inspiré, mais va quand même à la ligne. (Je l'imagine sur son ordianteur (Apple), lorsqu'elle a fini sa rédaction : "Rechercher : (point) ; Remplacer : (fin de pargraphe)").
Quand on n'a pas d'idées personnelles, on se distingue par n'importe quelle extravagance. Et si c'est illisible, on peut toujours affirmer que les critiques n'ont pas compris.