On croirait que le développement des moyens de communication, permettant à chacun de dire ce qu’il pense, est une augmentation de la liberté.

On constate pourtant souvent le contraire. Dans les années 1930-1940, les moyens de propager et de reproduire la parole, la radio, le magnétophone (inventé en 1928), auraient dû favoriser les échanges et la création. Mais ce sont les nouveaux tyrans d’alors qui ont compris les premiers les possibilités de manipulation que ces techniques leur offraient. Hitler utilisait le magnétophone et la radio pour prononcer des discours en plusieurs lieux à la fois et diffuser des fausses nouvelles.

L’explosion de la communication numérique a aussi été détournée par les malins. Ce sont d’abord les financiers qui ont trouvé dans la rapidité devenue incontrôlable des transactions, des possibilités de réaliser d’énormes bénéfices au détriment des entreprises et de leurs employés.

L’élection américaine a amené au pouvoir un milliardaire twitteur, inculte et brutal, qui a compris qu’une fausse nouvelle laissait toujours des traces dans des esprits simples qui n’ont pas appris le doute méthodique.

Notre Trump à nous ressemble plutôt à la ménagère de moins de cinquante ans. Mémère Le Pen a autour d’elle surtout des sales gueules qui rappellent davantage Goebbels ou Goering, mais elles sont dans l’arrière-plan, car c’est désormais l’image numérique qui compte. Marine et Marion font oublier les vieux briscards qui sont derrière. Avant Le Pen, il y avait Tixier-Vignancour, haut fonctionnaire de Vichy, mais on enseigne si mal l’histoire…

Radio jadis, image et Internet à présent, mais la stratégie est la même : aujourdh’ui, ce sont des « militants » qui trollent les forums et répandent des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Après la bourde à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv’, j’ai vu de ces « militants » affirmer que Laval était socialiste et Doriot communiste : mensonge délibéré et non erreur puisque son auteur connaissait le passé de ces politiciens, mais dissimulait sciemment qu’au moment des faits ils appartenaient au parti dont le FN descend tout droit.

On focalise toute la propagande sur un bouc émissaire ; c’était les Juifs en 40, ce sont les Arabes aujourd’hui. Les fascistes sont des gens brutaux et limités : ils n’ont pas trente-six recettes. Pour Trump, c’étaient les Mexicains qui venaient prendre le travail des bons Américains. Du coup, les milliardaires fascinés par la main-d’œuvre à bon marché sont innocents.

Les Juifs d’Hitler étaient accusés de dominer la finance et d’ignorer les frontières, les Arabes de Le Pen et Fillon d’organiser des attentats. Je finis par me demander pourquoi ces attentats arrivent toujours à point pour favoriser la propagande de leurs adversaires. Seraient-ils si bêtes, alors qu’ils savent faire preuve de tant d’ingéniosité pour déjouer la police ?

Utiliser un bouc émissaire évite d’avoir un programme précis qui pourrait ne pas faire l’unanimité. Se débarrasser des immigrés n’engage à rien, surtout dans les régions rurales où il n’y en a guère : ce sont Le Pen et Fillon (depuis Sarko, l’UMP/PR a est fasciné par les méthodes de la fachosphère) qui triomphent dans ma région, où il n’y a presque pas d’immigrés, peut-être parce qu’un ennemi sans visage est plus redoutable encore.

Je suis né en 1946, alors qu’on venait enfin de vaincre les fascismes. Mourrai-je dans un monde gouverné à nouveau par la haine et bouleversé par des crétins qui jouent aux apprentis sorciers ?