LES EMIRS BRACONNIERS

 

A la suite de nombreux articles parus récemment dans la presse algérienne, concernant le braconnage de Naama, il y a lieu d'ajouter que, d'après un guide rencontré récemment à Taghit, les dégâts sont infiniment plus importants que ne le laissaient croire ces différentes publications. En effet, des détails très précis m'ont été rapportés sur l'installation des émirs braconniers qui s'adonnent à leur sport favori avec l'aide d'Algériens totalement inconscients du mal qu'ils causent à leur pays. Il est vrai que la personne qui plante les piquets des tentes est gracieusement remerciée avec un billet de 1 000 US$... Le guide que j'ai rencontré n'a pas voulu m'avouer quels étaient ses gains. En revanche il m'a appris que tous les records de chasse à l'outarde sont battus. Un seul chasseur parvient facilement à massacrer plus d'une trentaine d'outardes par jour, dont seules certaines parties du corps sont soigneusement congelées à l'aide de matériels des plus sophistiqués. Les morceaux d'organes prélevés sont destinés à être offerts à des notables, une fois de retour chez eux.

 

Cependant, j'ai appris des faits plus graves encore. En effet, non seulement l'outarde est exterminée sans retenue, mais les œufs sont également collectés pour être exportés. Si les adultes sont décimés d'un côté et les œufs ramassés de l'autre, il ne nous restera plus aucun moyen de reconstituer les populations. De plus, ces déprédations sont commises sans aucune compensation, et cela au nom de l'amitié entre les peuples... En tant que citoyen algérien, je souscris totalement aux règles de l'hospitalité, mais lorsqu'on reçoit un ami à la maison, et que cet ami se met à casser vos meubles et lacérer vos rideaux, vous pouvez vous interroger sur la réciprocité de ses sentiments amicaux. Les dommages causés dans une maison sont réparables, mais l'extermination d'une espèce en voie de disparition est souvent un phénomène irréversible.

 

En dépit de nombreuses recommandations adoptées dans des forums internationaux, notamment le Congrès mondial pour la nature à sa première session [Montréal 1996], l'outarde continue à être chassée illégalement sur l'ensemble de son aire de répartition en Afrique, mettant en péril non seulement l'espèce, mais aussi bien d'autres espèces également menacées, comme les gazelles

 

Ceci est d'autant plus grave que la plupart des pays de l'aire de répartition, en Afrique du Nord (notamment l'Algérie) et en Afrique sub-saharienne, ont ratifié la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, la Convention sur les espèces migratrices (Convention de Bonn) et la Convention sur la diversité biologique... Or, tous ces pays se sont engagés à protéger l'outarde houbara (Chlamydotis undulata). Selon la communauté scientifique internationale, il n'existe que deux espèces d'outardes houbara : l'espèce nord-africaine citée plus haut, et une espèce asiatique (Chlamydotis macqueenii).

 

Notre pays a toujours respecté ses engagements et nous le prions d'honorer les conventions internationales qu'il a ratifiées : d'appliquer la législation nationale en ne tolérant plus la chasse des outardes houbara ; de mettre en œuvre des plans de gestion pertinents, afin de permettre l'utilisation durable de cette espèce, et de développer l'Ecotourisme dont un récent séminaire international s'est tenu à l'Aurassi la semaine passée, à l'occasion de l'année mondiale de l'Ecotourisme. Il sera impossible de développer l'écotourisme dans les régions sahariennes si, avant même de commencer, les espèces animales et végétales sont détruites, au mépris des conventions sur la biodiversité et de lutte contre la désertification que, pourtant, notre pays a été parmi les premiers à signer et ratifier.

 

Quant à nos "amis", le jour où chez nous il n'y aura plus ni outardes houbara ni gazelles, l'Algérie les aura également perdus !!!

 

Professeur Zohir Sekkal,

Mouvement écologique algérien

Conseiller régional de l'UICN pour l'Afrique du Nord

Union mondiale pour la Nature