Une vingtaine d'avocats étaient présents lors de ce procés hors-normes

Les deux gérants du « Cuba Libre », deux frères, comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Rouen (Seine-Maritime) pour « homicide involontaire » avec circonstance aggravantes en raison d’une « violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence ». Une négligence et une légèreté qui auront pour conséquence la mort de 14 personnes. Mortes par asphyxie pour l’essentiel, mais dont les corps ont ensuite été carbonisés par les flammes.

Les prévenus n’ont jamais contesté leur responsabilité dans ce drame. Ils ont reconnu - conformément à l’enquête judiciaire et aux constatations des experts - avoir aménagé la cave exigüe de leur bar, en discothèque. Une exploration commerciale sans autorisation et dans la plus parfaite illégalité. Pire, pour insonoriser les lieux à moindre frais, ils ont utilisé des matériaux hautement inflammables. C’est justement les bougies d’un gâteau d’anniversaire qui a déclenché l’incendie.

En raison de la configuration des lieux, les consommateurs ont été pris au piège. Les matériaux sous l’effet du feu ont immédiatement dégagé une épaisse fumée noire, terriblement toxique. Ce qui a empêché les victimes qui ne voyaient pas à 10 centimètres, de se diriger pour s’échapper par l’escalier glissant et étroit.
« Il fallait se contorsionner pour accéder à la piste de danse au sous-sol », a témoigné l’un des deux seuls rescapés qui n’ont dû leur salut qu’en se jetant par réflexe dans le mur de flamme. « Je suis tombé plusieurs fois et je me suis brûlé les mains sur les marches en fusion. Je tenais ma cousine par le bras, mais elle a glissé elle aussi et je l’ai perdue. Je m’en veux de ne pas avoir pu la sauver ».

Il y avait bien un extincteur dans la cave, mais les pompiers l’ont retrouvé à un endroit où personne ne pouvait le voir. Un extincteur qui n’avait pas été contrôlé depuis… 2012.

Un drame qui aurait pu être évité

A l’audience, les sauveteurs ont indiqué qu’ils n’ont appris qu’au bout d’une heure l’existence d’une issue de secours. Mais elle était fermée à clé. Selon l’officier de la première équipe de sapeurs-pompiers intervenue sur le lieu du drame, « si cette porte avait été ouverte, il n’y aurait probablement eu aucune victime grave ».

Ces 8 jours d’audience, ont été terribles pour les nerfs. Ce même officier évoque son collègue en état de sidération devant les corps inertes de deux jeunes hommes, « visiblement de la même famille. Ils étaient assis contre un mur, enlacés et couverts de suie ». Le pompier ne pouvait détacher son regard de cette macabre scène.
Emotion encore, lorsque les familles des victimes sont venues parler de leur enfants. « Des jeunes qui ne demandaient qu’à vivre ».

Ce procès sous haute-tension a nécessité à plusieurs reprises l’intervention des secouristes de la Croix-Rouge -en permanence sur place- pour des malaises et des crises de nerfs. Une cellule psychologique était également opérationnelle pour soutenir les familles ravagées par la douleur, à l’issue de leurs dépositions à la barre, où après avoir entendu les sauveteurs expliquer les circonstances dans lesquelles les jeunes étaient morts.

Un procès n’aura laissé personne insensible à la description du drame et à la douleurs des parties civile. Avocats, magistrats et journalistes ont tous eu, à un moment ou à un autre, la larme à l’oeil et la gorge nouée.

Dix infractions volontaires à la législation

Lundi 16 septembre, le Pascal Prache, Procureur de la République (représentant la société), dans un réquisitoire synthétique et limpide, à rappelé que si les prévenus n’avaient pas voulu ce drame, ils avaient néanmoins commis dix infractions à la législation sur les établissements recevant du public (ERP). « Dix infractions intentionnelles, a-t-il martelé en s’adressant aux deux gérants. Intentionnelles car vous aviez 10 ans d’expérience dans le gestion d’un bar. Vous n’étiez pas des débutants et ne me dites pas que vous aviez une phobie administrative. Lorsque vous avez voulu avoir une autorisation afin d’obtenir l’élargissement des horaires d’ouverture de votre établissement, vous avez su faire une demande en bonne et due forme auprès de la préfecture. Mais l’existence de cette boîte de nuit, qui a permis une progression de votre chiffre d’affaires de 30 %, vous l’avez toujours dissimulée à l'administration. Vous aviez une notion à géométrie variable de la règlementation ».

Conformément au rôle du ministère public de requérir à charge et à décharge, considérant que les prévenus n’avaient pas de casier judiciaire et qu’ils reconnaissaient leur responsabilité dans ce drame mortel, il a requis 4 ans d’emprisonnement ferme, pour les deux frères. Sans aménagement de peine en raison de la gravité des faits et de leurs conséquences. Peine assortie d’une interdiction définitive de gérer des établissements recevant du public.

Après que les avocats de la défense aient tenté l’impossible, la présidente a levée l’audience et annoncé que l’affaire était mise en délibéré. Le jugement sera rendu le 222 octobre 2019.

Le drame qui s'est traduit par la mort de 14 personnes a été largement médiatisé

Dans la salle des pas perdus, les familles et leurs avocats ont acceptés pour la plupart, de donner leur sentiment à la presse, sur le quantum de la peine requise par le procureur de la République. « Je pense que 5 ans, la peine maximale encourue, aurait été méritée, confie le père d’une des victimes. Mais 5, 10 ou 15 ans, ne nous rendra pas notre enfant (…) Sa chambre restera désespérément vide (…) Mais 4 ans de prison pour 14 décès, Cela fait globalement 3 mois par enfant mort. C’est un peu léger ».

Le tribunal est souverain et peut aller au-delà des équitation du Procureur de la République en prononçant la peine maximale. Mais comme le disent les familles, ce n’est pas ça qui leur rendra leurs enfants.